Alger 1541

En 1541, une tempête fait échouer l'attaque de la régence d'Alger par la flotte de Charles Quint. De nombreux navires ont coulé au fond de la rade. Sur la base de premières recherches entreprises par le GRAN en 2005, depuis 2022 des unités de recherches algérienne, espagnole, italienne, portuguaise et françaises se sont rassemblées pour exploiter cet important potentiel d'archéologie navale. Les recherches archéologiques sous-marines pourront certainement éclairer une opération dont beaucoup de détails restent encore dans l’ombre.

Rappel historique

Préludes

Le 27 septembre 1538, à la Preveza, Andrea Doria à la tête de la flotte chrétienne a rompu le combat devant Kheyr ed-Din Barberousse dont les forces étaient pourtant deux fois moindre que les siennes. Dès lors la Méditerranée se trouve placée sous la coupe des ottomans de Soliman et des barbaresques de Barberousse. 

En 1539 et 1540 Charles Quint négocie séparément avec Barberousse, dans l’espoir de neutraliser la menace qu’Alger et ses raïs font peser sur le commerce maritime de Méditerranée occidentale, il offre de lui donner Bône, Tunis, La Goulette. Mais les français informent le Sultan des négociations en cours et celles-ci sont interrompues. 

Dès lors, fort de son succès acquis à Tunis en 1535, Charles Quint décide d’attaquer Alger et d’en finir avec la base opérationnelle de Barberousse. Il faut pour cela rassembler troupes et navires. Comme à l’accoutumée les tractations entre les partenaires et les problèmes logistiques retardent la constitution du corps expéditionnaire. Le mois de septembre passé, Andrea Doria essaye de dissuader l’Empereur d’entreprendre l’opération à une date aussi tardive. En effet la règle veut qu’aucune opération navale d’envergure ne soit entreprise entre septembre et mars. Au cours d’une entrevue à Lucques le 16 septembre avec l’empereur, le Pape le met en garde : « Vous commettriez une erreur en entreprenant une expédition en Afrique au mois d’octobre….attendez le printemps ». Mais avec obstination Charles Quint poursuit son projet.

Les forces en présence

Hormis la France, qui reste neutre, toute la Méditerranée occidentale sera de la partie. La préparation des forces en Espagne est confiée à Hernan Cortes, le conquérant du Mexique. Fernand de Gonzague, vice-roi de Sicile et Pedro de Tolède, vice-roi de Naples se voient confier les mêmes tâches en Italie.

Deux cents navires embarquent à Porto Venere les 6 000 allemands placés sous les ordres de Georges Frontispero et les 5 000 italiens du Prince Colonna. Cent cinquante navires embarquent les espagnols à Naples et en Sicile ; deux cents autres embarquent en Espagne, artillerie, munitions et un millier d’hommes : fantassins et cavaliers. Les galères de Gênes, de Sicile, de Naples, de Monaco se joignent à la flotte ainsi que quatre de l’ordre de Malte sous les ordres de Georg Shilling, Grand Prieur d’Allemagne, portant leur nombre à 65 au total.  

L’armée, forte de 22 000 hommes, est commandée par le Duc d’Albe. La flotte comporte 450 navires et 65 galères manœuvrés par 11 000 marins est sous les ordres de Andrea Doria,  Charles Quint quant à lui assume le commandement suprême. 

La débâcle d'Alger

Le 23 octobre, les premières troupes légères embarquées sur les galères de Gènes et de Malte sont mises à terre sous la protection de l’artillerie des nefs. Dès que la plage est tenue, c’est au tour de l’infanterie lourde d’y prendre pied : infanterie espagnole, lansquenets allemands, régiments italiens débarquent suivis des premiers éléments de cavalerie et de 6 pièces d’artillerie de campagne.  

Dès le lendemain le corps expéditionnaire se met en marche vers l’ouest. Le plan initial des impériaux est d’envelopper la ville par le sud, d’appuyer cet encerclement terrestre par un bombardement naval contre le port et les fortifications puis de donner l’assaut aux trois portes: Bab Azoun, Porte Neuve, Bab el Oued. On s’assure du promontoire de Koudyat-es-Saboun qui domine Alger d’où Charles Quint observera et dirigera la manœuvre, cette hauteur est connue depuis lors sous le nom de « Fort l’Empereur ». 

En fin d’après-midi, les troupes campent sous les remparts mais le temps se met à l’orage et à la pluie ; cette dernière tombera sans discontinuer pendant toute la nuit, si bien que le 25 octobre au lever du jour les troupes sont trempées, transies et fatiguées par le harcèlement auquel elles ont été soumises de la part des arabes. El-Hadj Mami qui a reçu pour mission de défendre la porte de Bab Azoun profite du piteux état des troupes impériales pour faire une furieuse sortie. La pluie a neutralisé les arquebuses dont les mèches et la poudre, mouillées, sont désormais inutiles faces aux arbalètes de l’adversaire. Le choc est terrible les troupes italienne plient mais les chevaliers de Malte montent en première ligne, épaulant les italiens, les algériens finissent par se replier dans la ville. Poursuivis, ils ferment la porte de Bab Azoun et accablent les assaillants sous une pluie de projectiles d’artillerie, d’arquebuses et d’arbalètes. Les chevaliers de Malte conduisent l’assaut, parmi eux Nicolas Durand, chevalier de Villegagnon futur héros de la France australe paye de sa personne, mais l’artillerie de siège n’a pas été débarquée, et l’artillerie de campagne n’a aucun effet sur les fortifications. Une nouvelle sortie des assiégés bouscule les troupes italiennes du prince Colonna, trois compagnies sont mises à mal. Les chevaliers tentent de protéger la retraite : seule l’intervention des lansquenets avec l’empereur à leur tête évite la déroute. 

La pluie n’a toujours pas cessé, elle tombera pendant près de 60 heures et un terrible vent de nord-est souffle maintenant en tempête. Pendant que les troupes combattent à terre, la situation en mer est devenue dramatique. Mouillés devant une côte ouverte, les navires sont sans protection contre les vents furieux et la mer qui rapidement se creuse et devient énorme. Les galères les plus proches de terre ne tiennent pas sur leurs grappins et 15 d’entre elles sont jetées à la côte, les naufragés sont aussitôt attaqués sur la plage par les troupes maures. Plus au large les vaisseaux et les navires de transport chassent eux aussi sur leurs ancres, nombre d’entre eux sont également drossés sur la plage, d’autres encore abordent ceux dont les ancres ont mieux tenu et coulent au milieu de la tourmente. L’estimation des pertes s’élèvent à environ 120 bâtiments dont 40 à 50 vaisseaux.

Andrea Doria pour sauver l’essentiel de l’Armada donne l’ordre d’appareillage, le 26 octobre ce qui reste de la flotte va mouiller sous l’abri précaire du Cap Matifou, devant Tamenfoust, les galères encore valides remorquant les nefs. 

Pour les soldats à terre, privés de ravitaillement et de secours, trempés, affamés, épuisés par le manque de sommeil, souvent blessés, le moral est au plus bas ; l’heure de la retraite a sonné et Charles Quint en donne le signal le 27 octobre. Mais pour se réembarquer sur les vaisseaux et les transports maintenant mouillés sous le cap Matifou il faut longer la côte en butte au harcèlement permanent des troupes adverses La retraite sera longue et difficile, elle durera trois jours. Deux obstacles majeurs se trouvent sur le chemin, le premier est l’oued El Harrach dont le cours gonflé par les pluies est devenu infranchissable à gué. La pluie ayant cessé les troupes finissent par franchir l’obstacle, mais avant d’atteindre Matifou il faut aussi franchir l’oued El Hamiz qui est aussi sorti de son lit et dont les berges sont marécageuses. Les cavaliers et les fantassins s’y embourbent, mais la flotte mouillée à peu de distance vient apporter son aide.  

Charles-Quint décide de rembarquer mais la flotte a perdu de nombreux navires de transport. On laissera à terre tous les chevaux, mais cela ne suffit pas il faut aussi laisser sur les plages plus de huit mille hommes qui seront pris et finiront comme esclaves. Pour finir Charles Quint ne ramena en Espagne que la moitié de ses troupes. 

A Alger dans l’allégresse générale, la victoire est reçue comme un don de Dieu, et l’horrible tempête qui a eu raison des infidèles comme le résultat des prières des habitants et des dévotions des marabouts. L’imaginaire populaire en restera à jamais marqué.

Environ 200 anomalies magnétiques ont été détectées dans une zone parallèle à la côte

Max Guérout

Recherches effectuées en juin 2005

Les recherches concernant l’attaque d’Alger par Charles Quint en 1541, entreprises par le GRAN en 2005 dans le cadre du projet européen : « Euromed, la navigation du savoir » ont donné lieu d’une part à des recherches dans les archives espagnole de Simancas effectuées par Arnaud de Laroche (SEAS) et d’autre part, avec le soutien du Ministère de la Culture et de la Marine Algérienne, à des prospections géophysiques (magnétométrie) dans la zone probable du débarquement, située à l’est du port d’Alger.

Environ 200 anomalies magnétiques ont été détectées dans une zone parallèle à la côte, mesurant 500 m de large pour une longueur de 3800 m, entre les fonds de 9 et 14 m. Seules sept d’entre elles ont fait l’objet de plongées de vérification. Un travail considérable reste donc à faire.

Beaucoup reste à faire pour préciser la composition de l’Armada assemblée par Charles Quint, mais aussi pour mieux comprendre la manière dont les bâtiments ont été rassemblés, armés et équipés

Max Guérout

Le projet 2022

 Avec le développement ces dernières années de la recherche archéologique sous-marine en Algérie, est née l’idée de poursuivre le travail de recherche historique et archéologique amorcé en 2005  en y faisant participer toutes les nations concernées directement ou indirectement. 

Cette proposition a reçu l’accord de principe des unités de recherches et des chercheurs suivants : 

  • En Algérie : le Laboratoire d'études historiques et archéologiques (LEHA) du centre universitaire de Tipasa, rattaché au ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche scientifique et le Dr. Rafik Khellaf. 
  • En Espagne : le Consejo Superior de Investigaciones Científicas (CSIC) et le Dr. Ana Crespo Solana.
  • En Italie : le Laboratorio di  storia maritima e navale (Nav Lab) de l’Université de Gênes et le Dr. Luca Lo Basso.
  • Au Portugal : la NOVA University de Lisbonne et le Dr. Filipe Castro.          
  • En France : le laboratoire Histoire et archéologie maritime (FED 4124) de Sorbonne Université et le Dr. Olivier Chaline avec le Groupe de recherche en archéologie navale (GRAN) et Max Guérout ;  et la Société d’étude en archéologie subaquatique (SEAS) et le Dr. Arnaud de Laroche.    

En confrontant les idées et les souhaits des chercheurs participants, reste à bâtir le projet sur le plan administratif, financier, pratique, et scientifique. 

Quelques directions de recherche s’offrent dès à présent à nous. En effet si de nombreux ouvrages ont été consacrés à cet évènement, beaucoup reste à faire pour préciser la composition de l’Armada assemblée par Charles Quint, mais aussi pour mieux comprendre  la manière dont les bâtiments ont été rassemblés, armés et équipés.  Nous comptons aussi sur les recherches archéologiques sous-marines pour éclairer une opération dont beaucoup de détails restent encore dans l’ombre.   Une première visioconférence est prévue le 2 octobre, à l’occasion de la table ronde organisée par le GRAN à La Seyne-sur-mer sur le thème : Méditerranée, une histoire sous les eaux, (Contribution de l’archéologie sous-marine à l’histoire de la Méditerranée) .