Rencontre avec Olivier Chaline
Olivier Chaline est directeur de la Fédération Histoire et archéologie maritime.
Le réel est toujours plus compliqué que l’idée que nous nous en faisons, mais il est plus passionnant à étudier.
Quel est le lien entre la musique baroque, l’histoire de l’Europe centrale et la mer ? Un historien de Sorbonne Université, Olivier Chaline, est ce pont entre des rives qui paraissent si lointaines. Portrait d’un des capitaines de l’Institut de l’Océan.
La biographie d’Olivier Chaline est liée à l'histoire de la mer. Né à Neuilly-sur-Seine en 1964, celui qui dirige aujourd’hui la Fédération de recherche Histoire et d’archéologie maritimes1 a vécu dès son plus jeune âge à Rouen, une ville chargée d’histoire, grâce notamment à son imposante cathédrale médiévale. Et quand on a des parents historiens fraichement recrutés à l’université de la capitale normande, difficile d’échapper à l’histoire. « Dans cette ville au patrimoine architecturale considérable, l’histoire était immédiatement présente, cela m’a marqué dès mon plus jeune âge, se souvient Olivier Chaline. L’idée de faire des recherches sur l’histoire et de l’enseigner faisait partie des évidences. »
Un compatriote stimule aussi cet appétit. Le jeune Olivier Chaline étudie au lycée Pierre Corneille, dans ses bâtiments des XVIIe et XVIIIe siècles, dont les plus anciens ont vu passer l’illustre dramaturge, également féru d’histoire. « Je me disais qu’à mon âge, il était là, comme moi. C’est curieux d’avoir une sorte de complicité avec un des très grands auteurs littéraires français mais je ne me sentais pas intimidé par ce personnage qui me semblait très proche. Nous fréquentions la même ville, les mêmes lieux, je voyais des choses que lui-même avait vues. » Une sorte de grand « ancien ».
En 1982, Olivier Chaline décroche son baccalauréat littéraire et entre, après deux ans de classes préparatoires, à l’École normale supérieure (ENS) de la rue d’Ulm, à Paris, où il obtient l’agrégation d’histoire, en 1987. Mais les places sont chères dans l’enseignement supérieur et on lui conseille de s’orienter vers l’École nationale d’administration. Il s’entête. L’avenir va lui donner raison. « L’histoire me faisait rêver et continue de me faire rêver. »
En 1989, sa scolarité et sont service militaire achevés, l’ENS le rappelle pour devenir un « caïman », un ancien qui prépare ses jeunes camarades à l’agrégation. En parallèle, il prépare et obtient, en 1995, son doctorat sur l’histoire du parlement de Normandie. Dans la foulée, il est élu maître de conférences d’histoire moderne à l’ENS et obtient, en 1998, l’habilitation à diriger des recherches avec un travail sur la guerre de trente ans, conflit qui débute en 1618 par le soulèvement de la communauté protestante tchèque contre la maison des Habsbourg. Il voue un véritable amour pour la Tchéquie, dont il a appris la langue en cours du soir, à l’ENS, durant ses années de caïman. « Enfant, j’ai découvert la Vltava de Smetana à l’école et retrouvé ce compositeur à la maison. Smetana et Dvorak m’ont sans doute orienté vers leur pays et les eaux de la Vltava n’ont plus cessé d’irriguer mon travail. »
En 1999, après dix ans à l’ENS, il est temps de voir d’autres horizons. « J’avais envie de changer d’air. » Un poste de professeur d’histoire se libère justement à l’Université Rennes 2. Il n’y reste que deux ans, Sorbonne Université lui propose la chaire d’histoire de l’Europe centrale.
Le grand plongeon
Bientôt, il lui est demandé de reprendre le séminaire d’histoire maritime de Sorbonne Université, « une rareté en France et le seul à Paris ». Il revient dans les couloirs de l’université où, en 1986, son mémoire de Master 1 l’avait mené une première fois pour étudier l’armement des bateaux au Havre, au XVIIIe siècle. La mer, toujours…
Avec l’équipe en place, il travaille à ce qui deviendra bientôt, sous son égide, une Fédération de recherche. Après avoir étudié les parlements et les magistrats dans la France de l’Ancien régime puis en Europe centrale, il se tourne donc vers l’histoire du domaine maritime. Ses travaux sur les guerres maritimes lui permettent de développer des collaborations avec la Marine nationale et en particulier l’École navale. Aux Archives nationales, il se plonge dans les journaux de campagne de l’armée commandée par l’amiral de Grasse, cette force navale envoyée par Louis XVI pour assurer l’indépendance des États-Unis. « Je connaissais l’histoire de la Navale, mais quand on n’a pas la pratique, beaucoup de choses nous échappent. Il était important de m’entourer de marins pour m’expliquer les éléments de navigation. C’est l’exemple même de ce que peut être une collaboration entre historiens et marins. Comme j’ai dû apprendre le tchèque, avec la mer, j’ai appris une langue, un vocabulaire. »
La Marine l’invite même à bord de l’une des goélettes, la Belle poule, qui se rend, depuis Brest, à la Grande Armada de Rouen de 2013. « Moi qui n’avais jamais navigué, sinon sur des ferries, j’ai appris à lire une carte marine, ce qu’est un quart de nuit, un aber, un courant de marée… Ce parcours, je le connaissais par les archives. Mais quand vous avez la chance de passer aux endroits mêmes que vous avez étudiés, vous appréciez vraiment et vous engrangez des images, pas seulement dans la mémoire de votre appareil photo, de vraies sensations. Le réel est toujours plus compliqué que l’idée que nous nous en faisons mais il est plus passionnant à étudier. »
Fort de ses expériences, il devient une référence, celui que la faculté des Lettres envoie pour discuter avec celle des sciences et le Muséum national d’histoire naturelle, ce qui lui vaut d’être rapidement associé au démarrage de l’Institut de l’Océan porté par l’Alliance Sorbonne Université. Et c’est tout naturellement qu’il s’en engagé dans l’organisation du Forum des Océans 2022.
À 57 ans, Olivier Chaline voit son avenir en bleu. « Il est vraisemblable qu’il sera maritime. Depuis 1989, sans cesser de faire de l’histoire, j’ai l’impression d’avoir exercé des métiers différents. Je ne serais pas surpris que dans les dix prochaines années, il y ait de nouvelles métamorphoses. »